Il est important de souligner la différence entre le mode de création de ce Tribunal spécial de celui des tribunaux internationaux ad hoc. Ces derniers, mis sur pied par une résolution du Conseil de Sécurité sur base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, impliquent la coopération de tous les Etats. A cet égard, les statuts de TPI ad hoc stipulent que « 

[l]es Etats collaborent […] à la recherche et au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire ».[1]

  1. La particularité du Tribunal spécial pour la Sierra Leone

Cette obligation de collaboration que le Conseil de Sécurité impose aux Etats est ce qui constitue la principale différence avec le TSSL. En effet, l’accord conclu entre  le Gouvernement sierra-léonais et l’ONU est un traité bilatéral et ne saurait par conséquent constituer une source d’obligation à l’égard des Etats tiers.  Comme le souligne M. FRULLI, «  (t)his is not surprising, since the Special Court is neither an organ mandated by an international organization having the power to impose obligations upon states (as are the ICTY and the ICTR), nor is it based on a multilateral treaty. (as is the ICC). On the contrary, it is established by a bilateral agreement, which cannot bind third parties».[2]

Une seconde différence réside dans le fait que les statuts des TPI prévoient une primauté absolue de ces derniers par rapport aux juridictions nationales alors que ce principe est limité en ce qui concerne le TSSL.  En effet, le TSSL « ne bénéficie d’aucune primauté sur les juridictions nationales autres que sierra-léonaise. Il ne pourra donc pas exiger le dessaisissement d’une juridiction d’un Etat tiers ni l’arrestation par les autorités de cet Etat d’un accusé »[3] contrairement au TPI ad hoc qui en ont le pouvoir.[4]

Plus subtilement, quelques particularités seront également à soulever au regard de la compétence matérielle du Tribunal spécial. En effet, le Statut du TSSL est compétent lorsque sont en cause les crimes contre l’humanité (article 2), les violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II (article 3) ainsi que les autres violations graves du droit international humanitaire (article 4). Cette première catégorie de crimes se rapproche des actes incriminés dans les statuts des tribunaux ad hoc. Toutefois, le caractère internationalisé du TSSL marque à ce niveau une première différence puisqu’il est également compétent pour les crimes au regard du droit sierra-léonaise.

En ce qui concerne la responsabilité pénale individuelle de l’auteur des crimes ci-haut cités, l’article 6 du Statut du TSSL semble reprendre mot pour mot l’article 6 du TPIR et l’article 7 du TPIY. Toutefois, le point 5 de cet article rappelle la consonance nationale d’un tribunal mixte en stipulant que « [l]a responsabilité pénale individuelle des crimes visés à l’article 5 est établie conformément à la législation pertinente de la Sierra Leone ».

  1. Différence de traitement des accusés ?

Plus particulièrement à l’égard de la figure du chef de l’Etat, la création de cette nouvelle juridiction semble être une véritable « mesure anti-dirigeant ». En effet, selon B. BABAN, « la compétence personnelle des juridictions pour la Sierra Leone et pour le Cambodge est limitée aux hauts dirigeants, a priori les chefs d’Etat ».[5]

Cette remarque se fonde principalement sur l’article premier du Statut du Tribunal spécial qui stipule qu’il est compétent pour « juger les personnes qui portent la plus lourde responsabilité des violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996 y compris les dirigeants […] ».

L’importance de cet article réside dans le fait qu’avant de poursuivre un individu, le Procureur doit d’abord s’assurer qu’il s’agit bien d’un haut dirigeant. La question que l’on en vient à se poser est celle d’une probable discrimination parmi les accusés. En effet, selon que l’on est haut dirigeant ou simple individu, notre cas est entre les mains soit d’une justice internationale, caractérisée par le respect des normes internationales et des droits de l’homme en général, soit d’une justice nationale souvent considérée comme fragilisée.[6]

 

[1] Art. 29 et art. 28 respectivement du TPIY et du TPIR.

[2]  M. FRULLI, « The Special Court for Sierra Leone: Some Preliminary Comments », E.J.I.L., 2000, vol. 11, n°4, p.861. Nous soulignons.

[3] C. DENIS, « Le tribunal spécial pour la Sierra Leone. Quelques observations », R.B.D.I., 2001, p. 241.

[4] En effet, en ce qui concerne le TPIY, il est noté que « le tribunal international peut ordonner qu’un Etat procède au transfèrement d’un accusé se trouvant sur son territoire au siège du Tribunal (art. 29.2, d) et e) du Statut. L’ordre de d’arrestation ou de transfèrement entraînera, s’il y a lieu, le dessaisissement de la juridiction nationale ». Il en est de même pour le TPIR (article 28 de son Statut) ; H.D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre face à la justice. Les juridictions internationales et les tribunaux nationaux, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2012, p. 59-63.

[5] B. BABAN, La mise en œuvre de la responsabilité pénale du chef d’Etat, Belgique, Larcier, 2012, p. 212.

[6] Ibidem.