D’une manière générale, les tribunaux internationalisés sont caractérisés par le rôle primordial joué par les Nations Unies dans leur création.[1] Contrairement à ceux-là, le Tribunal spécial pour le Sénégal n’est plus l’œuvre de la communauté internationale dans son ensemble intervenant pour juger les crimes considérés comme les plus graves, mais plutôt de la communauté africaine agissant par l’intermédiaire de l’Union Africaine (ci-après, AU).

Le fait que ce n’est plus les Nations Unies mais l’Union Africaine qui intervient dans le processus de création de cette juridiction pourrait amener les plus sceptiques à remettre en question son caractère international. Cette idée pourrait en outre être renforcée en analysant la composition des Chambres africaines extraordinaires. En effet, seules deux présidents de Chambres sont issus de l’UA, tous les autres juges étant de nationalité sénégalaise. La présence de juges internationaux est donc très limitée.

Toutefois, nous préférons nous rallier à ceux qui voient dans cette dernière, un nouveau tribunal internationalisé pour des raisons à la fois doctrinale et jurisprudentielle.

  1. L’argument doctrinal

Ce premier argument consiste à attirer l’attention sur le caractère assez varié des juridictions mixtes. En effet, même si l’on peut leur trouver certaines similitudes, il faut toutefois garder à l’esprit que chacun de ces tribunaux garde ses particularités eu égard aux circonstances ou à la base juridique de sa création.

Comme le souligne la doctrine « le degré d’internationalisation des juridictions hybrides varie considérablement d’une juridiction à l’autre ».[2] La présence de juges issus de l’UA, aussi limitée soit elle, ne nous semble donc pas être un argument de taille pouvant remettre en cause le caractère international de cette nouvelle juridiction. R.O. SAVADOGO confirme ce point de vue en considérant à son tour ce « nouveau-né » comme pouvant effectivement être classé parmi les tribunaux internationalisés même s’il est « le plus national des tribunaux dans cette catégorie ».[3]

  1. L’argument jurisprudentiel

Cet argument se fonde plus spécifiquement sur la décision rendue le 5 novembre 2013 par la Cour de justice de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans laquelle elle considère que « [p]our la Cour, les Chambres extraordinaires Africaines, même si elles ont été créées au sein des juridictions nationales sénégalaises n’ont pas moins un caractère international du fait de leur mode de création d’une part (Accord international) et leurs règles de fonctionnement différentes de celles des juridictions nationales sénégalaises (statut des Chambres) ».[4] La Cour continue en soutenant que :« l’existence sur un territoire national (en l’espèce le Sénégal) et la composition du moins partielle au sein de ces Chambres de juges nationaux (Sénégalais en l’occurrence) n’enlèvent en rien à ces juridictions leur caractère international ».[5] Elle conclut alors en ces termes : « la Cour estime que l’accord international qui a créé les Chambres extraordinaires Africaines et leurs propres règles de fonctionnement déterminées dans leur statut confèrent à celles-ci un caractère international ».[6]

Conclusion

Il semble ainsi admis par la doctrine et la jurisprudence que les chambres africaines extraordinaires sont des juridictions internationalisées. La seule précision à amener serait le fait que nous assistons peut-être à une nouvelle catégorie de tribunaux internationalisés, les « juridictions internationalisées régionales ».[7]

 

[1] L. CONDORELLI et S. VILLALPANDO, « Les Nations Unies et les juridictions pénales internationales », in J.-P. COT, A. PELLET et M. FORTEAU (s.l.d.), La charte des Nations Unies. Commentaire article par article, 3e éd., Paris, Economia, 2005, p. 214-217 et 237-245 ; E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « Quelques réflexions sur les actes créateurs des Tribunaux pénaux internationalisés », in H. ASCENCIO, E. LAMBERT-ABDELGAWAD et J.-M. SOREL (s.l.d.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor-Leste), Paris, Ed. Société de législation comparée, 2006, p. 27-46 ; A.-C. MARTINEAU, Les juridictions pénales internationalisées. Un nouveau modèle de justice hybride ?, Coll. Perspectives internationales, Paris, Pedone, 2007, p. 11-67.

[2] B. BABAN, La mise en œuvre de la responsabilité pénale du chef d’Etat, Belgique, Larcier, 2012, p. 204 ; voy. aussi R. KOLB, « Le degré d’internationalisation des tribunaux pénaux internationalisés », in H. ASCENSIO et al. (sous la dir.), Les juridictions pénales internationalisées, op. cit., p. 47-68.

[3] R.O. SAVADOGO, « Les Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux sénégalais. Quoi de si extraordinaires ? », Etudes Internationales, vol. 5, n°1, mars 2014, p. 105-127.

[4] CEDEAO, Affaire Hissein Habré c/ République du Sénégal, 5 novembre 2013, www.chambresafricaines.org.

[5] CEDEAO, Affaire Hissein Habré c/ République du Sénégal, 5 novembre 2013, www.chambresafricaines.org.

[6] Ibidem.

[7] Cfr. infra Chapitre IV, section II ; Selon M. MUBIALA, « (l)’institution des Chambres africaines est un jalon important dans le développement d’une justice pénale régionale pour lutter contre l’impunité en Afrique ». (M. MUBIALA, « Chronique de droit pénal de l’Union Africaine. Vers une justice pénale régionale en Afrique ? » R.I.D.P., 2012/3, vol. 83, p. 555.