Une protection très large

Cette question intéresse de nombreux auteurs qui cèdent (ou concèdent) leurs oeuvres à des bénéficiaires qui les utilisent bien entendu mais ne les diffusent pas au public (employeur, leur société, co-contractants,…).

Rappelons tout d’abord que l’article XI.165, § 1 du Code de droit économique (ci-après « Le Code ») énonce que :

« L’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique a seul le droit de la reproduire ou d’en autoriser la reproduction, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit, qu’elle soit directe ou indirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie. (…)

L’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique a seul le droit de la communiquer au public par un procédé quelconque (…).

L’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique a seul le droit d’autoriser la distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de son œuvre ou de copies de celle-ci »

Le Code n’énumère par ailleurs pas les catégories d’œuvres protégées ni ne décrit leurs composantes.

Contrairement à certaines idées préconçues, le droit d’auteur n’est donc nullement confiné au domaine artistique ou littéraire et, par conséquent, la notion d’œuvre doit donc être entendue de manière large.

C’est ce que confirme le SPF Economie, seule administration compétente pour déterminer les oeuvres et assurer leur protection.

https://economie.fgov.be/fr/themes/propriete-intellectuelle/droit-dauteur/protection-des-oeuvres/protection-par-le-droit/que-protege-le-droit-dauteur

Afin d’être protégée par le droit d’auteur, il faut que l’œuvre :

  • résulte d’une activité créative ;
  • soit mise en forme ;
  • soit originale.

Afin d’être protégé par le droit d’auteur, il n’est pas nécessaire que :

  • l’œuvre soit d’une certaine taille, durée, longueur, etc. ;
  • l’œuvre soit destinée à un certain type d’usage ou de fonction ;
  • l’œuvre ait une valeur esthétique particulière ;
  • l’œuvre soit diffusée par un média particulier ;
  • l’auteur de l’œuvre le fasse en tant que professionnel ;
  • l’œuvre soit conforme aux bonnes mœurs ;
  • l’auteur accomplisse des formalités particulières.

(…)

 

Exemples d’oeuvres

L’œuvre littéraire ne vise pas seulement les œuvres de « littérature » dans le sens culturel et esthétique du mot[1]

Les cours et tribunaux ont notamment assimilé aux œuvres littéraires un ouvrage technique[2], un manuel de jeu vidéo[3] , un mode d’emploi[4] ou un cours scientifique de génétique [5].

Pour qu’une création et/ou œuvre puissent bénéficier de la protection du droit auteur, il est impératif que deux conditions soient remplies : elle doit être originale et mise dans une forme qui traduit la volonté de son auteur de la communiquer.

L’objectif du droit d’auteur est donc d’encourager la création, en garantissant à ceux qui s’y consacrent la possibilité de rendre cette activité économique viable, voire profitable, et de permettre la diffusion de la création dans le public en y associant les créateurs.

Un exemple tiré de la jurisprudence française permet de cerner les limites que ce critère impose : si l’emballage du Pont-neuf par Christo est protégé par le droit d’auteur – l’idée d’emballer des objets n’est quant à elle pas protégeable – ce qui amena le tribunal de Grande Instance de Paris à débouter l’artiste américain qui reprochait à une agence de publicité d’utiliser des photographies d’ouvrages d’art emballés à la manière de Christo.[6]

L’idée d’emballer des ouvrages d’art n’est donc pas protégeable par le droit d’auteur, au contraire de la concrétisation de cette idée dans une forme particulière (l’emballage du Pont-Neuf par Christo).

Le support matériel en tant que tel n’est dès lors pas nécessaire pour que l’œuvre soit protégée par un droit d’auteur, mais c’est bien l’expression, la formalisation de cette idée qui est protégée.

Expression de la personnalité de l’auteur

Il est unanimement admis qu’une œuvre, pour être protégée, doit revêtir un caractère original[7], c’est- à-dire être marquée de l’empreinte de son auteur.

« Cette condition d’originalité est assez facilement rencontrée car les cours et tribunaux sont très peu exigeants à cet égard. Ainsi, un travail utilitaire (le mode d’emploi d’un appareil par exemple) pourra être considéré comme étant original si on peut conidérer que sa forme eut été différente s’il avait été réalisé par une autre personne que son auteur. » SPF ECONOMIE

Une œuvre est originale quand bien même le format  qui en résulte n’est pas orignal et est commun à d’autres œuvres : exposé oral, document Powerpoint avec succession d’images et de textes, feuille de calcul Excel, …

La formalisation et la matérialisation des idées se sont faites en fonction des choix libres de structure, d’arrangement et de disposition des idées et du contenu, qui laissent ainsi refléter la personnalité de l’Auteur dans l’œuvre.  C’est dans l’enchaînement et le choix d’organisation du contenu que l’Auteur exprime sa capacité créative.

Une œuvre conçue sur mesure uniquement pour les besoins d’une entreprise et qui est susceptible d’être communiquée à un public peut bénéficier des droits d’auteur.

Par exemple, la création d’un logiciel sur mesure, en prenant en compte les contraintes et consignes du client peut laisser place à l’activité créative.

La condition de mise en forme de l’œuvre d’une manière qui permette sa communication au public est respectée par ce type de logiciel.

Les œuvres sont bien matérialisées dans une certaine forme directement ou indirectement perceptible par autrui.

En effet, la condition de mise en forme de l’œuvre qui permette sa communication au public n’impose pas que l’œuvre soit effectivement diffusée à un public plus large que le client de l’auteur.

Ainsi, même si une convention de cession de droit d’auteur conclue est exclusivement destinée à l’usage interne d’un seul client, cela n’empêche pas la diffusion des œuvres à un public nouveau lors d’une seconde communication.

La notion de communication au public

L’arrêt Svensson du 23/02/2014 sur l’accès aux œuvres sur internet via des hyperliens, c’est-à-dire des liens internet cliquables vers des articles de presses ou d’autres pages internet, a établi la définition de la communication au public qui doit intervenir lors d’une seconde communication.

La communication au public d’une œuvre n’est une condition pour bénéficier du régime des droits d’auteur et n’entre donc pas en ligne de compte pour déterminer s’il s’agit d’une œuvre originale. Une telle condition ne se retrouve pas dans le livre XI du code de droit économique et n’est de même reconnu ni par la doctrine ni par la jurisprudence.

L’arrêt Svensson énonce que la première communication au public ne requiert aucune exigence quant au nombre de personnes visées (premier cercle) et c’est la seconde communication qui dans certains cas (tels que les liens hypertextes) nécessite un public nouveau c’est-à-dire un public différent du premier cercle.

C’est principalement l’arrêt Svensson du 13 février 2014 qui définit cette notion de public nouveau.[8]

En application de la jurisprudence Svensson, des hyperliens sont un acte de communication à un public nouveau. Dans cette hypothèse, le public du lien hyperlien constituerait un public «nouveau» non couvert par l’autorisation initiale des titulaires des droits.

L’acte par lequel le propriétaire d’un site Internet renvoie, sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur, via des hyperliens, à des œuvres protégées disponibles en accès libre sur un autre site, est un acte de communication au public de l’œuvre.

Le fait pour toute personne autre que le titulaire des droits d’auteur de fournir un hyperlien vers les œuvres protégées constitue cette communication au public :

« Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de «mise à disposition» et, par conséquent, d’«acte de communication», au sens de ladite disposition ».[9]

En ce concerne la mise en forme de l’œuvre, il est uniquement requis que celle-ci soit susceptible d’être communiquée au public.

Il n’est nullement exigé pour pouvoir bénéficier des droits d’auteur que l’œuvre soit effectivement diffusée à un public large.

Cela relève d’ailleurs du pouvoir discrétionnaire du propriétaire final de l’œuvre.

Il importe d’ailleurs peu que l’auteur n’ait pas l’intention de communiquer au public.

Le fait de cette communication suffit même si elle n’est pas volontaire.

Dès que la première communication se fait pour un cercle restreint composé de certains clients, et que l’œuvre n’est pas accessible à tous sur un site internet, l’œuvre sera toujours susceptible d’être communiquée à un public nouveau, composé d’autres personnes que le cercle restreint du client initial visé par le contrat de cession ou concession de droits d’auteur.

Si l’œuvre est susceptible d’être communiquée à un public nouveau, l’auteur pourra alors faire valoir son droit moral de communication au public.

 

[1] D. VOORHOOF, in F. BRISON & H. VANHEES (dir.), Hommage à Jan Corbet, Larcier, Gand, 2e éd., 2008, p.51.

[2] Bruxelles, 27 février 1954, J.T., 1954, p. 278.

[3] Bruxelles, 9 novembre 1972, J.T., 1973, p. 463.

[4] Civ. Liège, 2 octobre 1992, J.T., 1993, p. 342.

[5] Bruxelles (9e ch.), 11 avril 1997, A&M, 1997, p.265.

[6] TGI Paris, 26 mai 1987, Rec. Dalloz, 1988, somm. Comm., p. 201

[7] A. BERENBOOM, Le nouveau droit d’auteur, Bruxelles, Larcier, 2008 et, parmi d’autres, Cass., 26 janvier 2012, AM, 2012, 4, 336

[8] CJUE 13 févr. 2014, Aff. C-466/12, Svensson c/ Société Retriever Sverige, D. 2014. 480

[9] Arrêt Reha Training (C-117/15)