En pratique, un nombre excessivement important de demandes de regroupement familial sont refusées dû à la présence d’un élément antérieur dans la relation familiale des intéressés. Un cas typique est le mariage dissous par répudiation.
Non-reconnaissance de l’acte de répudiation
Le Code de droit international privé proclame en son article 57 la non-reconnaissance de l’acte de répudiation et le définit comme étant « un acte établi à l’étranger constatant la volonté du mari de dissoudre le mariage sans que la femme ait disposé d’un droit égal » Par ailleurs, se réfugiant derrière la barrière de l’ordre public, l’Office des Etrangers a toujours refusé la demande de visa regroupement familial lorsqu’un mariage précédent a été dissous par répudiation[5]. Ainsi, une décision du Tribunal civil de Liège du 26 mai 2009[6] illustre, à titre exemplatif et loin d’être exceptionnel[7], le frein que se voit reconnaître actuellement une répudiation dans le droit fondamental de vivre en famille. En l’espèce, un ressortissant marocain avait épousé une marocaine au Maroc. Quelque temps plus tard, le mari décide de rompre au Maroc par répudiation conformément à la législation en vigueur du pays. Ce faisant, il se remarie à nouveau au Maroc et désire se faire rejoindre par sa nouvelle épouse en Belgique via la procédure du regroupement familial. Ne reconnaissant pas le divorce par répudiation, l’Office des Etrangers refuse dès lors d’accorder le visa en raison de l’invalidité du second mariage étant donné que l’époux était considéré, aux yeux des autorités belges, comme étant toujours marié lorsqu’il a contracté ce second mariage. De surcroît, le refus de donner droit au regroupement familial en l’espèce a pour objectif d’améliorer la situation de la femme répudiée. Il n’empêche que les conséquences néfastes qu’engendre la prohibition de cette forme particulière de divorce en l’article 57 du CODIP sont susceptibles d’affecter d’autres parties et situations qui se situent « bien au-delà des relations entre les époux dont le mariage a pris fin par ce mode particulier de divorce »[8]. Conformément aux propos de Patrick Wautelet, « lorsque cette disposition a pour résultat de remettre en cause la validité de relations familiales nées après la répudiation –un nouveau mariage de l’époux, voire de l’épouse répudiée ou une filiation qui en découle -, l’on peut se demander si l’effet déduit de l’article 57 ne dépasse pas l’intention du législateur. N’est-ce pas en quelque sorte « punir » le nouveau conjoint de l’époux qui a procédé à la répudiation, voire de ses enfants, que de ne pas reconnaître celle-ci ?»[9]. Pire encore, le fait que la répudiation ait été demandée par l’épouse elle-même ne change rien à la situation, car l’Office des étrangers persiste à refuser cette forme de dissolution. Autrement dit, la prohibition de la répudiation à travers le refus de délivrer le visa regroupement familial ne semble clairement pas répondre de manière primordiale au souci de protection des droits de la femme. Bien au contraire. Au regard de l’article 8 de la CEDH, il est dès lors évident de constater que le refus d’accorder un quelconque droit au regroupement familial dû à un acte de répudiation antérieur constitue un ingérence dans la vie familiale des intéressés. Cependant, les autorités belges ne considèrent aucunement cette ingérence comme étant disproportionnée au regard du but voulu. A cet égard, l’Office des étrangers invite les intéressés à régulariser leur répudiation en introduisant une nouvelle procédure de divorce conformément aux règles légales belges. Or, l’on ne saurait déduire de cette alternative une véritable solution au problème posé sans reconnaître la complexité de la situation. En effet, il y a lieu de constater que cette méthode engendre « une perte de temps, tant pour eux-mêmes que pour la justice, ainsi que des coûts importants, tout cela pour aboutir à un résultat qui existait déjà, la séparation des parties étant irrémédiable »[10]. En tout état de cause, il est fortement improbable que l’époux change d’avis et décide de poursuivre la vie commune et ce même dans le cas où la femme n’accorderait pas son accord à la répudiation[11]. Au delà de ces difficultés, les parties devront introduire la demande en Belgique, pays où ils sont considérés comme étant mariés, et ne peuvent donc pas l’introduire dans leur pays d’origine, pays où ils sont considérés comme étant divorcés valablement[12]. Force est ainsi de constater que le principe de proportionnalité peine à se faire respecter et que l’ingérence dans la vie familiale des parties ne semble pas atteindre l’objectif prévu, ou du moins l’atteint difficilement. Ceci posé, il nous paraît opportun de relever les propos de Jean Deprez lorsqu’il affirme que « la répudiation heurte sans aucun doute nos principes mais le réalisme commande de l’accepter (…) Refuser tout effet à la répudiation au nom de la sauvegarde des principes revient à maintenir la femme dans les liens d’un mariage qui n’existe plus et à entraver sa liberté de remariage »[13]. Enfin, il nous semble important de relever que la jurisprudence belge a affirmé, en matière de répudiation, le caractère fonctionnel de l’ordre public international selon lequel « il convient de vérifier si la décision de répudiation n’est pas contraire à l’ordre public belge in concreto[14] et non in abstracto »[15]. Si une telle attitude est louable au regard des droits fondamentaux, elle l’aurait été d’autant plus si l’Office des étrangers la respectait lors de l’examen d’une demande de regroupement familial. Or, en pratique, il faut constater qu’en matière d’immigration, les autorités belges ont une fâcheuse tendance à utiliser l’exception de l’ordre public à la légère tel un automatisme[16] et sans forcément d’ « examen concret, sur base de critères multiples, de la contrariété supposée »[17]. Ce rejet systématique est d’autant plus regrettable eu égard aux droits fondamentaux puisque la Convention européenne des droits de l’homme exige « que le résultat effectif soit contraire à l’égalité, d’où la nécessité d’une appréciation d’ensemble (…) l’existence de certaines garanties, tenant en particulier au respect des droits de la défense, peut compenser en l’atténuant l’inégalité qui subsistera toujours dans l’initiative même de la dissolution »[18]. En conclusion, se réfugiant derrière la barrière de l’ordre public, l’Office des Etrangers a toujours refusé la demande de visa « regroupement familial » lorsqu’un mariage précédent a été dissous par répudiation. [1] Art. 57, Loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé, M.B., 27 juillet 2004, p. 57344 [2] S. SAROLEA, « Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations familiales (1988-1996) », Rev. trim. dr. fam., 1997, p. 40 [3]M.-C. FOBLETS, « Faut-il autoriser le droit familial marocain en Belgique ? », in Femmes marocaines et conflits familiaux en immigration : quelles solutions juridiques appropriées ?, Anvers, Maklu, 1998, p. 53 [4] S. SAROLEA, « Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations familiales (1988-1996) », op. cit., p. 41 [5] P. WAUTELET, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères », note sous Liège, 26 mai 2009, JLMB, 2010, p. 1811 : « Tout comme l’institution polygamique, le juge peut accorder des effets sociaux à une répudiation. Cependant, l’on reconnaît qu’il est peu cohérent de considérer les époux comme toujours mariés car la répudiation effectuée n’est pas reconnue, tout en donnant effet aux conséquences de cette dissolution » [6] Liège 26 mai 2009, JLMB, 2010, pp. 1807-1809 [7] Pour d’autres cas d’espèce où le visa regroupement familial a été refusé dû à un mariage précédent dissous par répudiation voy. Bruxelles (21e ch.), 20 novembre 2008, Etat belge c. Sloussi Nabila, RG 2008/9703 : en l’espèce, il s’agissait d’une répudiation moyennant compensation ; voy. également Civ. Bruxelles (réf.), 3 mars 2006, Rev. dr. étr., 2006, p. 231 : en l’espèce, il s’agissait d’une répudiation qui avait eu lieu à la demande de l’épouse [8] P. WAUTELET, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères » op. cit. p. 1811 [9]Ibid., p. 1814 [10] C. BARBE, « Un nouvel arrêt de la Cour de cassation dans le domaine de la reconnaissance des répudiations » note sous Cass. 29 avril 2002, Revue Divorce, 2003/7, p. 103 [11] P. WAUTELET, « Le rayonnement de la prohibition de l’accueil des répudiations étrangères », op. cit., p. 1813 [12]Ibid. [13] J. DEPREZ, « Droit international privé et conflits de civilisations. Aspects méthodologiques. Les relations entre système d’Europe occidentale et système islamiques en matière de statut personnel », Cours Académie dr. Int. La Haye, 1988-IV, t. 211, p. 171 [14] Nous soulignons [15] Cass. 29 avril 2002, Revue Divorce, 2003/7, p. 98 : En l’espèce, l’épouse répudiée réclame le bénéfice d’une pension d’épouse divorcée auprès de l’Office national des Pensions. « Ce dernier, après quelques paiements, n’accorde finalement aux anciens conjoints qu’une pension correspondant à la moitié du taux ménage et non au taux isolé, considérant qu’ils ne sont pas valablement divorcés, et réclame en outre le remboursement de la différence pour une période de plusieurs mois ». [16] Toutefois, il convient de noter qu’en pratique, l’Office des étrangers peut accepter exceptionnellement de reconnaitre une répudiation qui a été faite avant le 1er octobre 2004 (entrée en vigueur du CODIP) lorsque l’épouse s’est remariée par la suite. L’article 126 §2 du Code fait échapper une répudiation effectuée avant l’entrée en vigueur du code pour l’examiner à l’aune de la jurisprudence antérieure. [17] S. SAROLEA, « Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois relatifs à la personne et aux relations familiales (1988-1996) », op. cit., p. 40 [18] P. HAMMJE, « Droits fondamentaux et ordre public », Rev. crit. dr. intern. Privé, 1986, pp. 1 et Article 8 CEDH
Ordre public
Conclusion