Bien que l’institution polygamique reflète une logique théocratique, la Belgique, et plus largement l’ensemble de l’Union européenne a longtemps rejeté catégoriquement ce type d’union, dénonçant la présence d’une inégalité foncière entre l’homme et la femme. Au vu du fait qu’un homme peut avoir jusqu’à quatre épouses, le choc des cultures se situe essentiellement dans le fait que ce type d’union « ne correspond pas au mode de relations instauré entre les femmes et les hommes dans les pays de tradition chrétienne »

[1], caractérisé par la monogamie.

 

Regroupement familial d’une union polygamique

Si l’on se tourne particulièrement vers la problématique du regroupement familial, l’on peut constater que la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur le droit au regroupement familial en cas d’union polygamique et sur son rapport avec le droit au respect de la vie familiale. Dans l’arrêt Alilouch El Abasse c. Pays-Bas, la Cour affirme que « l’Etat ne peut être tenu, au regard de la Convention, de reconnaître pleinement les mariages polygames qui sont contraires à son propre ordre juridique »[2]. Dans plusieurs autres arrêts, notamment l’arrêt Rabia Bili c. Royaume-Uni, la Cour confirme cette jurisprudence en considérant que l’ingérence au droit au respect de la vie familiale est nécessaire dans la société démocratique pour la protection de la morale et des droits et libertés d’autrui[3].

 

En Belgique, l’ancien article 10, paragraphe 1er alinéa 2 de la loi du 15 décembre 1980 indiquait qu’en cas de mariage polygame, si un des conjoints du polygame vivait déjà sur le territoire belge, ni un autre conjoint du polygame, ni les enfants issus de cet autre conjoint n’avaient droit au regroupement familial[4]. Ainsi entendu, l’on comprend aisément que nombreux aient questionné la légitimité d’un tel procédé par rapport aux droits fondamentaux reconnus à tous. Par son arrêt du 26 juin 2008, la Cour constitutionnelle a déclaré que « les enfants ne sont pas responsables de la situation matrimoniale de leurs parents »[5] et ne peuvent dès lors être soustraits de leur droit au regroupement familial. En effet, un tel procédé contredisait fortement non seulement le principe de l’égalité des naissances affirmé par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Marckx[6], mais également le principe de non-discrimination à l’égard des enfants consacrés par la Convention de New-York[7].

 

En revanche, la Cour constitutionnelle a raisonné différemment à l’égard du lien matrimonial en déclarant que « le regroupement familial entre conjoints est lié à la preuve d’un lien de type matrimonial entre eux, de sorte que l’exclusion des époux polygames repose sur un critère pertinent par rapport à l’objet de la législation en cause et à l’objectif de préserver l’ordre public international belge et européen »[8]. Ce faisant, le Conseil d’Etat a tenu à rappeler que lorsque le premier mariage est valablement dissous, « l’administration ne peut dès lors se retrancher derrière l’exception d’ordre public belge pour refuser le droit au regroupement familial du second conjoint »[9].

 

Droits de la femme

Toutefois, vu la forte présence de la population immigrée musulmane en Belgique, il est permis de questionner la légalité d’un tel refus au regard des droits fondamentaux dès lors que cette prohibition engendre un nombre démesuré de situations boiteuses dans la vie familiale de nombreux musulmans sur le sol belge. Comme il a été annoncé, la Belgique prohibe le regroupement familial d’un couple polygame au nom de la protection des droits de la femme. Or, une telle prohibition ne dégrade-t-elle pas encore plus les droits de celle-ci? En boycottant le droit de la seconde épouse de rejoindre son époux en vue de la protection de ses droits, les autorités belges démontrent ainsi une contradiction flagrante dans la portée de leurs intentions. Aussi, non seulement la Belgique réaffirme la position de victime de la femme mais en plus de cela, elle la renforce. Dès lors, l’on voit mal comment le rejet du droit fondamental de vivre en famille peut-il trouver justification dans la protection de la femme alors même que ce rejet provoque une réelle discrimination à l’égard de celle-ci.

 

Intérêt supérieur de l’enfant

De plus, l’exclusion du droit au regroupement familial à la seconde épouse se conçoit difficilement eu égard aux droits de l’enfant et de son intérêt supérieur. En effet, l’argument revendiquant le respect d’une certaine moralité ne tient plus. Il ne fait aucun doute que séparer une mère de son enfant pour un temps indéterminable choque beaucoup plus profondément l’essence et l’âme des valeurs fondamentales de notre société que le nombre d’épouse que peut avoir un homme. D’autant plus que, dans l’ arrêt du 16 mars 1999[10], le Conseil d’état avait considéré que la décision d’éloigner une mère de son enfant constituait dans le cas d’ espèce « une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale », en soulignant qu’ « en l’espèce, l’exécution des actes attaqués impliquerait que la requérante serait séparée de son époux et que leur enfant commun âgé d’un an et quelques jours serait inévitablement séparé de l’un de ses parents et qu’ils risque de la sorte de subir les conséquences des actes attaqués qui sont de nature à influencer son équilibre psychique, son éducation et son développement harmonieux. »[11] L’arrêt Eriksonn de la Cour européenne des droits de l’homme confirme notre intuition dès lors qu’il souligne que « pour un parent et un enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale »[12].

 

Conclusion

En conclusion, en reconnaissant le droit au regroupement familial à l’enfant issu du second mariage, mais en le refusant à la mère de cet enfant, si une autre épouse vit déjà sur le territoire belge, l’on peut se demander si la Belgique ne viole-elle pas les droits fondamentaux reconnus à tous.

[1] B. ANCEL, « Le statut de la femme du polygame » in Le droit de la famille à l’épreuve des migrations transnationales, sous la dir. de F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, LGDJ, 1993, p. 106

[2] Cour eur. D.H., Alilouch El Abasse c. Pays-Bas du 6 janvier 1992 ; Dans l’arrêt Johnston, la Cour précise que la conception européenne du mariage est celle de sociétés adhérant au principe de la monogamie (Cour eur. D.H., Johnston et a. c. Royaume- Uni, 18 déc. 1986, §§ 50 et 52)

[3] Cour. eur. D.H., Rabia Bili c. Royaume-Uni, 29 juin 1992, requête n° 19628/92 : « En vue de prévenir la formation de ménages polygamiques, l’Etat peut interdire l’accès du territoire à la seconde épouse d’un de ses ressortissants qui y vit avec son autre femme ».

[4] La directive 2003/86 sur le regroupement familial confirme la prohibition du droit au regroupement familial de ce type d’union en son article art. 4 § 4 al. 1er. et 2e

[5] C. const., 26 juin 2008, n°95/2008; La circulaire du 17 juin 2009 (portant certaines précisions ainsi que des dispositions modificatives et abrogatoires en matière de regroupement familial) et l’arrêt du 25 février 2009 du Conseil du Contentieux des étrangers ont d’ailleurs confirmé le raisonnement de la Cour constitutionnelle (C.C.E., 25 février 2009, n°23.654)

[6] Cour. eur. D.H., Marckx contre Belgique, 13 juin 1979, requête n°6833/74

[7] Article 2§2 de la Convention de New-York: « L’enfant doit être effectivement protégé contre toute forme de discrimination ou de sanction motivée par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille ».

[8] C. const., 26 juin 2008, n°95/2008, B.21.

[9] C.E., 24 février 2003, n° 116.344: En effet, le Conseil d’Etat a rappelé à plusieurs reprises qu’ « un mariage, polygame au moment de sa conclusion peut produire des effets juridiques en droit public dès le moment où le premier mariage est valablement dissous » ; C.E., 26 novembre 1998, n°77.261

[10] C.E., 16 mars 1999, n°79.295, R.D.E., 1999, n°103, p. 258

[11] C.E., 16 mars 1999, n°79.295, R.D.E., 1999, n°103, p. 259

[12] Cour eur. D.H., Eriksonn c. Suède, 22 juin 1989, requête n°12963/87; Voy. aussi Cour eur. D.H., Sen c. Pays-Bas, 21 décembre 2001, requête n°31465/96