Si c’est à la famille « micro-nucléaire » qu’est accordé le droit au regroupement familial, il n’empêche que cette dernière ne correspond en aucun cas à la réalité sociale des liens familiaux tels qu’ils sont effectivement vécus dans notre société. En effet, « la famille contemporaine se décline au pluriel » Visa humanitaire A l’heure actuelle, la seule porte ouverte à l’égard des conceptions étrangères de la famille réside dans le « visa humanitaire » prévu à l’article 9 de la loi du 15 décembre 1980 ; faveur[3] exceptionnelle accordée à toute personne sans conditions, selon les circonstances et sous l’appréciation discrétionnaire du ministre de l’Intérieur. Il ne s’agit dès lors pas d’un « droit », mais d’une « faveur ». En effet, l’article 9 autorise le ministre à délivrer des autorisations de séjour individuellement en fonction des arguments qui sont présentés par l’étranger. Par ailleurs, certaines conditions officieuses semblent se dégager de la pratique. L’on peut citer entre autre qu’il faut pouvoir démontrer un lien familial effectif, une dépendance financière, une raison humanitaire grave, le fait que la personne en charge, résidant en Belgique, ne dépend pas du pouvoir public, ou encore le fait que la personne sollicitant le visa humanitaire n’ait pas d’autres alternatives d’hébergement au pays d’origine. Autant avouer qu’en pratique, il est pour ainsi dire impossible, ou plutôt extrêmement difficile pour un étranger, avec une conception de la famille qui est la sienne, de voir aboutir une telle demande. Quant au droit au regroupement familial, il ne fait nul doute que la Belgique va à l’encontre de la prise en compte des sensibilités culturelles entourant la notion de famille et exclu de la sorte toute conception qui lui est inconnue. Droit international privé Cela étant, il importe tout de même de rappeler que le droit international privé « est censé » avoir pour dessein d’atteindre deux objectifs différents qu’il doit parvenir à concilier. En effet, « il doit, en premier lieu, coordonner les systèmes juridiques entre eux. Il s’agit alors d’éviter, surtout en matière familiale, les situations boiteuses : c’est-à-dire qu’un individu perde sa qualité d’époux, de divorcé, sa filiation … en passant d’un Etat à un autre. Mais il doit aussi, en second lieu, faire en sorte que les systèmes juridiques conservent leur spécificité »[4]. Or, il nous paraît évident que les autorités belges instrumentalisent les règles du droit international privé en préférant retenir la part de la définition qui leur convient le mieux et jeter celle qui les gêne. Conclusion Nous rejoignons dès lors la position de Marie-Claire Foblets lorsqu’elle affirme que l’utilisation de l’exception d’ordre public ou d’intérêt général mis en œuvre à la manière de la Cour, comme motif unique de rejet sans concession à l’égard d’une institution qui à l’heure actuelle se pratique dans les situations familiales les plus variées ne peut plus suffire pour apprécier utilement l’admissibilité de celle-ci[5]. Ce faisant, il nous paraît fort douteux que le respect de l’ordre public ou de l’intérêt général soit la motivation première des autorités belges qui refusent d’accepter d’autres conceptions de la famille que la leur. Se fondant sur toute sorte de règles de droit international privé pour justifier certaines exclusions à l’égard de plusieurs membres de la famille, l’on pourrait s’interroger sur les réelles motivations des autorités. En effet, à y regarder de plus près, l’Etat belge semble surtout et avant toute chose guider par une soif incontrôlable de contrôler le flux migratoire, au détriment de toute autres considérations, aussi primordiales soient-elles. Ainsi, certaines manipulations du droit international privé semblent constituer leurs moyens de parvenir à leur fin. Cependant, une telle attitude peut paraitre choquante, voire même alarmante, lorsque des droits fondamentaux sont en jeu. A la lumière de ces réflexions, il nous est permis de nous questionner car, comme disait Fulchiron, « s’il est une force redoutable, capable de renverser cul par-dessus tête Cours suprêmes et Parlements, n’est-ce pas celle des droits de l’homme ? »[6] [1] F. VASSEUR-LAMBRY, La famille et la Convention européenne des droits de l’homme, Paris, l’Harmattan, 2000, quatrième de couverture [2] P. GUEZ, « Pluralisme familial et ordre public international », op. cit., p. 197 [3] S. SAROLEA, « Le nouveau visage du droit au regroupement familial après deux années de réforme », op. cit., p. 361 [4] P. GUEZ, « Pluralisme familial et ordre public international », op. cit., p. 197 [5] M.-C. FOBLETS, « La répudiation répudiée par la Cour de cassation : un examen sans mansuétudes des conditions de régularité internationale d’un acte de répudiation », note sous Cass, 11 décembre 1995, Rev. dr. étr., 1996, p. 196 [6] H. FULCHIRON, « Couples, mariage et difference de sexe: une question de discrimination? », in Mél. J. Rubellin-Devichi, Litec, 2002, p. 31