S’il est de jurisprudence constante qu’, en droit belge, l’enfant issu d’une filiation adoptive est en droit de bénéficier du regroupement familial au même titre que l’enfant naturel, il importe de relever que certains pays ne connaissent pas l’institution de l’adoption a) La Kafala et l’adoption La kafala est ainsi entendue par le droit islamique comme étant « l’engagement de prendre en charge bénévolement l’entretien, l’éducation et la protection d’un mineur, au même titre qu’un père le ferait pour son fils »[4], sans pour autant créer de lien de filiation juridique avec ce dernier. C’est pourquoi, selon la règlementation belge en vigueur, la kafala islamique n’équivaut pas à une adoption et ne peut être comparée qu’à une tutelle officieuse ou à une prise en charge d’enfant. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs rappelé en 1983 que « l’article 10, 4°, de la loi du 15 décembre 1980 ne permet le regroupement familial que pour les enfants communs d’une même et seule famille ; un acte de « remise d’enfants » n’a pas pour effet de faire entrer l’enfant dans la famille de l’étranger, et ne peut être assimilé à un acte d’adoption d’ailleurs non reconnu légalement en droit marocain »[5]. Cependant, bien que la procédure mise en place soit extrêmement rigoureuse, la législation belge n’interdit pas en soi l’adoption de mineurs recueillis par le biais de la kafala. En effet, la loi du 6 décembre 2005 modifiant certaines dispositions relatives à l’adoption permet ce type d’adoption moyennant le respect de conditions si strictes qu’une certaine réticente face à ce type d’adoption se fait lourdement sentir. Au niveau européen, la juridiction strasbourgeoise a rendu dernièrement un arrêt pour le moins étonnant en la matière. En effet, dans la décision Harroudji c. France du 4 octrobre 2012[6], la Cour donne raison à l’Etat français pour avoir refusé l’adoption d’une mineure recueillie en Algérie par le biais de la kafala. En prenant en considération le bas âge de l’enfant lorsqu’elle a été recueillie, ainsi que la continuité de la vie commune entre l’enfant et l’accueillante, la Cour admet l’existence d’une vie familiale entre ces dernières au sens de l’article 8 de la CEDH. Il n’empêche que la juge strasbourgeois conclut que l’interdiction d’adoption ne constitue pas une ingérence dans la vie familiale des intéressées considérant le fait que le kafil (personne en charge de la kafala) garde sa possibilité de mener une vie familiale effective avec l’enfant, même en l’absence d’adoption. A cet égard, le raisonnement de la Cour semble lacunaire. Si certes, l’article 8 ne garantit ni le droit de fonder une famille, ni le droit d’adopter , il exige cependant des Etats qu’ils « favorisent la formation et le développement des liens familiaux »[7]. De plus, il a également été précisé que « d’après les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour, là où l’existence d’un lien familial avec un enfant se trouve établie, l’Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa famille »[8]. Par conséquent, le raisonnement européen semble « minimiser à l’excès les conséquences néfastes de l’absence de filiation »[9]. b) La kafala et le droit au regroupement familial Si l’on se tourne de manière plus spécifique vers le regroupement familial, l’enfant recueilli sous kafala n’ouvre pas le droit au regroupement familial, faute de lien de filiation. Dans les contentieux impliquant un enfant, certains mettent en exergue le fait que « l’âge des enfants constitue un élément en faveur du bénéfice du regroupement familial »[10], et que par conséquent, « plus le regroupé est jeune, plus le regroupement familial a de chance d’être validé, même si l’enfant est déjà sur le territoire »[11]. D’autres relèvent au contraire « qu’il est sans doute difficile de dire qu’un véritable droit subjectif au regroupement familial est reconnu aux enfants mineurs même lorsque le regroupant réunit l’ensemble des conditions posées dans son chef »[12]. Cependant, nous partageons l’avis selon lequel, le respect du droit à une vie familiale ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait obliger, dans certains cas, « les autorités administratives à accorder le bénéfice du regroupement familial à un enfant, même s’il ne rentre pas dans le cadre de la procédure prévue par la loi »[13]. Force est de constater que « pour des raisons philosophiques autant que politiques, la protection des droits de l’enfant constitue une priorité en Europe »[14]. De ce fait, l’attitude qui consiste à ne retenir que le caractère inconnu que représente cette institution étrangère, car ne trouvant pas de semblable en Belgique, n’est pas à suivre. En revanche, conformément aux propos de Fabien Marchadier, « seul importe la fonction de la mesure »[15]. Dès lors que cette institution inconnue du for tend essentiellement à la protection de l’enfant, le rejet du droit au regroupement familial pose question. Le même auteur confirme notre interrogation en déclarant que « contrairement à d’autres institutions ayant une origine identique, telles la polygamie ou la répudiation, la kafala ne soulève pas de sérieuses difficultés au regard de l’ordre public international et des droits de l’homme. Mieux, elle les sert plutôt qu’elle ne les dessert. Elle constitue l’un des moyens de satisfaire l’intérêt supérieur de l’enfant[16]. La Convention internationale des droits de l’enfant la mentionne en effet aux côtés de l’adoption. L’adoption et la kafala se présentent ainsi comme des réponses concevables à une préoccupation universelle qui est d’assurer à l’enfant, privé définitivement ou temporairement de son milieu familial, une protection de remplacement. L’une et l’autre sont tout aussi légitimes. Rien ne devrait donc s’opposer à la circulation internationale de l’enfant et son développement à l’étranger »[17]. A l’heure actuelle, l’Office des étrangers rejette catégoriquement et systématiquement toute demande de regroupement familial impliquant un enfant recueilli sous kafala. Or, non seulement l’intérêt supérieur de l’enfant, mais également l’article 8 de la CEDH obligent l’Etat belge à examiner les demandes de regroupement familial de façon individuelle et tolérante. A cet égard, la juridiction strasbourgeoise a plusieurs fois rappelé que « la Convention ne doit pas être interprétée isolément mais en harmonie avec les principes généraux du droit international ». Cette disposition est d’autant plus importante dans les contentieux impliquant un enfant, étant donné que l’on insiste régulièrement sur le fait que « les obligations que l’article 8 fait peser sur les Etats contractants … doivent s’interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant »[18]. Par ailleurs, cette Convention oblige également les Etats à prendre en compte l’origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique de l’enfant dans la protection de ce dernier. En conclusion, dès lors que cette institution tend essentiellement à la protection de l’enfant, le rejet du droit au regroupement familial pose question. [1] E. DERRIKS, « Le regroupement familial », op. cit., p. 150 [2] A. BELAMRI, “Etude de jurisprudence” in Femmes marocaines et conflits familiaux en immigration : quelles solutions juridiques appropriées ?, Anvers, Maklu, 1998, p. 105 [3] M.-C., FOBLETS et J.-Y. CARLIER, Le Code marocain de la famille : Incidences au regard du droit international privé en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 78 [4] Article 116 du Code de la famille algérien, à titre d’exemple ; Cour eur. D.H., Harroudj c. France du 4 octobre 2012 § 16 [5] C.E., IIIe ch., 30 mai 1983, arrêt n° 36.964, R.D.E., 1992, n°68, p. 114 [6] Cour eur. D.H., Harroudji c. France du 4 octrobre 2012, requête n° 43631/09 [7] Cour eur. D.H., Keegan c. Royaume-Uni, 18 juillet 2006, requête n°28867/03 § 50 [8] Cour eur. D.H., Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, 28 juin 2007, requête n° 76240/01 §119 [9] N. HERVIEU, « L’adoption internationale aux prises avec la kafala sous le regard européen » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 8 octobre 2012 [10] R. DECHAUX, « Le droit au regroupement familial », in L’étranger : sujet du droit et sujet de droits, sous la dir. de T. DI MANNO et M.-P. ELIE, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 244 ; [11] Ibid., p. 242 ; Cour eur. D.H., Sen c. Pays-Bas, 21 décembre 2001, requête n°31465/96; Cour eur. D.H, Tuquabo-Tekele c. Pays-Bas, 1er décembre 2005, final 1er mars 2006, requête n° 60665/00 [12] N. JOUANT, « Enfants et regroupement familial : Aspects européens », JDJ, 2008, n°273, p. 33 [13] R. DECHAUX, « Le droit au regroupement familial », op. cit., p. 244 [14] Ibid., p. 242 [15] F. MARCHADIER, « Cour d’appel de Limoges (Ch. civ.), 25 janvier 2011», note sous Limoges, 25 janvier 2011, Rev. crit. DIP., juillet-septembre 2011, p. 695 [16] Nous soulignons [17] F. MARCHADIER, « Cour d’appel de Limoges (Ch. civ.), 25 janvier 2011», op. cit., p. 692 [18] Article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989