Pour mieux comprendre les circonstances dans lesquelles ce Tribunal international a été créé, il convient de revenir un siècle en arrière.

[1]

A la fin du 19è Siècle, le Rwanda était une petite royauté dirigée par un Roi tutsi à la tête d’une population constituée de tutsi (entre 10 et 15 % de la population), hutu (entre 80 et 85 % de la population) et twa.

Les colonisateurs, d’abord allemands en 1885 puis belges en 1923, organiseront le Rwanda sous cette même configuration avec à la tête du pays la minorité tutsi.

A la fin des années 50 et au début des années 60, la quête de l’indépendance et le passage d’un régime monarchique à un régime présidentiel opposera sans grande surprise deux camps : les hutu, majoritaires et opprimés lors de la colonisation, et l’élite tutsi. La majorité hutu remportera les premières élections organisées dans le pays. La minorité tutsi constitua alors un front et se regroupa en Front Patriotique Rwandais (FPR).

A partir de 1990, le pays entre dans une période de crise qui va durer quatre ans. Cette période sera caractérisée par d’importantes tensions opposant le FPR et les forces armées rwandaises du gouvernement en place (FAR).[2]

Dans le but de mettre fin à cette guerre, des négociations en vue d’un accord de cessez-le-feu seront entamées en 1992 lesquelles aboutiront à la signature des Accords d’Arusha le 4 août 1993 entre le gouvernement de la République rwandaise et le FPR. Selon cet accord, « il est mis fin à la guerre entre le Gouvernement de la République Rwandaise et le Front patriotique Rwandais ».[3]

C’est dans un climat d’affrontement entre les partisans et les opposants de ces accords que l’avion dans lequel se trouvait le Président de la République rwandaise Juvénal Habyarimana fut abattu, causant sa mort et celle de son homologue burundais Cyprien Ntaryamira, le 6 avril 1994.

Cet assassinat fut le point de départ des tueries de masse à caractère ethniques, visant essentiellement les tutsi et les hutu modérés, qui se propageront sur tout le territoire rwandais.[4] Dans le même sens, R. DEGNI-SEGUI fera remarquer dans un rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda qu’ « au moment où l’avion présidentiel s’écrasait, la situation intérieure rwandaise était tendue et explosive à plusieurs titres : frustrations dues aux retards accusés dans l’application des accords d’Arusha en date du 4 août 1993, terreur semée par les milices, assassinats de leaders de l’opposition et des militants des droits de l’homme, rumeurs persistantes selon lesquelles chacune des deux parties, le gouvernement et le Front patriotique rwandais se préparaient à la guerre ».[5] Il poursuit ensuite en affirmant que « [l]a mort du président Habyarimana sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres, déclenchant le massacre des civils ».[6]

Ces atrocités prirent fin en juillet 1994 avec la victoire du FPR. Ainsi, en l’espace d’une période de trois mois, le Rwanda venait de vivre un génocide qui causa entre 800.000 et 1 million de victimes.[7]

C’est dans ces circonstances que le Conseil de Sécurité des Nations Unies décida de créer, par la résolution n° 955[8], le Tribunal pénal international pour le Rwanda afin de juger les responsables de ces actes génocidaires.

Eu égard au caractère sinistré de l’appareil judiciaire rwandais après les événements horribles survenus durant cette période ainsi qu’ à la nécessité d’une réaction prompte pour juger les « grands responsables », le recours au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies en vue de la création d’un tribunal pénal international sembla être « la seule solution juridique efficace ».[9]

[1]Dans le développement qui suit, nous nous baserons principalement sur les articles suivants : C. NKURUNZIZA, Le conflit rwandais, 2006, http://www.olny.nl/RWANDA/Histoire_History/C_Nkurunziza_Conflit_Rwandais.html; et H. D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre face à la justice. Les juridictions internationales et les tribunaux nationaux, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2012.

[2]R. LEMARCHAND, « Les génocides se suivent mais ne se ressemblent pas : l’Holocauste et le Rwanda », in F. REYNTJENS et S. MARYSSE (sous la dir.), L’Afrique des grands Lac. Annuaire 2001-2002, 2003, p. 31.

[3]Art. 1 Accord de paix d’Arusha, 4 août 1993.

[4]H.D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, op. cit., p. 53.

[5]ONU, Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par René DEGNI-SEGUI, rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, en application du paragraphe 20 de la résolution 994 S-3/1 de la Commission, en date du 25 mai 1994, doc. E/CN.4/1995/7, 28 juin 1994, §26.

[6]Ibidem.

[7]H.D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, op. cit., p. 54 ; voy. aussi une étude menée pour évaluer les victimes rwandaises lors du génocide, F. REYNTJENS, « Estimation du nombre de personnes tuées au Rwanda en 1994 », http://www.ua.ac.be/objs/00110970.pdf.

[8] Conseil de Sécurité des Nations Unies, Résolution n° 955, 8 novembre 1994.

[9]H. D. BOSLY et D. VANDERMEERSCH, op. cit., p. 56.