La condition de moyens de subsistance suffisants n’a longtemps été qu’une question théorique.

En effet, jusqu’à présent cette condition ne concernait que le regroupement familial avec un enfant handicapé célibataire et majeur ou la famille de l’étudiant.

A présent, les ressortissant de pays tiers ou les belges qui désirent se faire rejoindre par leur conjoint, partenaire ou enfants devront apporter la preuve qu’ils détiennent des moyens de subsistance stables, suffisants et réguliers pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux des membres de leur famille afin d’éviter qu’ils ne deviennent une charge pour les pouvoirs publics.

En ce qui concerne l’évaluation de ces moyens, le législateur belge précise qu’il faut prendre en considération la spécificité de la situation personnelle du citoyen, qui comprend également la nature et la régularité de ses revenus et le nombre des membres de la famille à sa charge. En outre, la loi du 8 juillet 2011 a modifié le prescrit du paragraphe 5 de l’article 10 de la sorte et impose que « l’étranger doit disposer de 120% du montant du revenu d’intégration pour une personne vivant exclusivement avec une famille à sa charge à savoir : 1.208 euros par mois et ce, peu importe le nombre de personnes composant son « ménage » »

[1].

Tel que le conçoit le Conseil d’Etat dans son avis du 4 avril 2011, cette « disposition pose problème au regard de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. » En effet, si l’on se tourne vers l’arrêt Chakroun[2], la Cour de Justice stipule que :

« Dès lors que l’ampleur des besoins peut être très variable selon les individus, cette autorisation doit par ailleurs être interprétée en ce sens que les États membres peuvent indiquer une certaine somme comme montant de référence, mais non en ce sens qu’ils pourraient imposer un montant de revenu minimal au-dessous duquel tout regroupement familial serait refusé, et ce indépendamment d’un examen concret de la situation de chaque demandeur. Cette interprétation est confortée par l’article 17 de la directive qui impose une individualisation de l’examen des demandes de regroupement »[3].

Le législateur belge a du dès lors voulu se conformer à l’arrêt Chakroun en précisant que :

« Si la condition relative aux moyens de subsistance stables et réguliers visée à l’article 10, § 5, n’est pas remplie, le ministre ou son délégué doit déterminer, sur la base des besoins propres de l’étranger rejoint et des membres de sa famille, quels moyens de subsistance leur sont nécessaires pour subvenir à leurs besoins sans devenir une charge pour les pouvoirs publics. »[4]

Cependant, en maintenant une discrimination sur base de la fortune, une telle disposition ne semble toujours pas suffire au regard de l’arrêt Chakroun puisqu’il stipule clairement que « le montant des ressources défini par une loi ou une réglementation n’est qu’une référence. Dès lors, le fait de ne pas satisfaire à la condition de revenu ne peut avoir comme conséquence immédiate le rejet automatique de la demande »[5].

Par conséquent, il convient de constater que cette condition constitue une barrière insurmontable à l’égard du droit au respect de la vie familiale, et ce pour une grande partie de la population.

En pratique, il faut constater que la condition de revenu s’avère déterminant et engendre un nombre impressionnant de rejet de demandes par l’Office des étrangers qui applique cette condition strictement et exige la plupart du temps que le regroupant soit engagé sous CDI. Cette interprétation non seulement outrepasse le libellé de la loi mais est également disproportionnée au vu du fait que plusieurs familles belgo-belges ne peuvent même pas la respecter.

Elle stigmatise par ailleurs des personnes qui se trouvent confrontés malgré eux à des problèmes fréquents sur le marché du travail, « celui de n’avoir que des petits boulots, dans le cadre de contrats précaires, celui d’avoir perdu son emploi et d’en chercher un nouveau »[6].

[1]F. DUTERME, « Regroupement familial : lorsque le Parlement s’en mêle et en durcit les conditions d’octroi » http://www.collectionorange.be/Actualité.aspx?id=166

[2] C.J.U.E., 4 mars 2010, (Chakroun), C-578/08, curia.europa.eu

[3] C.J.U.E., 4 mars 2010, (Chakroun), C-578/08, curia.europa.eu point 48

[4] Art. 4, loi du 26 mai 2011 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers en ce qui concerne les conditions dont est assorti le regroupement familial

[5] Y. PASCOUAU et H. LABAYLE, Les conditions d’accès au regroupement familial en question. Une étude comparative dans neuf États membres de l’UE, Fondations Roi Baudouin, Novembre 2011, p. 91 ;

[6] S. SAROLEA, « Regroupement familial suite à la réforme de 2011 », op. cit., p. 138