Perception de droits d’auteur et  abus fiscal

1. Notion d’abus fiscal

En se prévalant de la loi du 16 juillet 2008 instaurant un régime fiscal favorable des droits d’auteurs, les contribuables ne pourraient cependant commettre un « abus fiscal ».

L’article 344, § 1er, CIR constitue la nouvelle règle générale anti-abus en la matière et est rédigé comme ceci :

« N’est pas opposable à l’administration, l’acte juridique ni l’ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération lorsque l’administration démontre par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés à l’article 340 et à la lumière de circonstances objectives, qu’il y a abus fiscal.

Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques qu’il a posé, l’une des opérations suivantes :

1° une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d’une disposition du présent code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en dehors du champ d’application de cette disposition ; ou,

2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l’octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.

Il appartient au contribuable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d’actes juridiques se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus.

Lorsque le contribuable ne fournit pas la preuve contraire, la base imposable et le calcul de l’impôt sont rétablis en manière telle que l’opération est soumise à un prélèvement conforme à l’objectif de la loi, comme si l’abus n’avait pas eu lieu. »

Les actes juridiques posés par les contribuables ne sont pas opposables au fisc lorsque l’administration démontre qu’il y a « abus fiscal ».

L’abus fiscal peut prendre deux formes :

  • un ou des actes juridiques constituent une opération par laquelle le contribuable se place hors d’atteinte d’une disposition du code ou de son arrêté d’exécution ; ou
  • un ou des actes juridiques constituent une opération qui permet au contribuable de prétendre à un avantage fiscal prévu par le code ou son arrêté d’exécution et qui a essentiellement cet avantage pour but

Dans l’un et l’autre cas, il faut que ce résultat soit contraire aux objectifs d’une disposition légale. Il ne faudra prendre en compte, au titre d’objectifs de la disposition évitée ou invoquée, que les seuls objectifs qui ont été exprimés par le législateur et de manière certaine.[1] L’application de la règle anti-abus ne sera possible que si le texte et les travaux préparatoires de la disposition évitée ou invoquée indiquent clairement l’objectif de cette disposition et si l’opération accomplie par le contribuable viole cet objectif au-delà de tout doute raisonnable.

Il appartiendra au fisc de démontrer qu’il y a abus fiscal, lorsqu’il le prétend. Il ressort du texte que le fisc doit démontrer l’existence de deux éléments[2] :

  • un élément matériel : la circonstance qu’un ou des actes juridiques permettent au contribuable d’échapper à l’application d’une disposition particulière ou qu’ils lui permettent de tirer avantage d’une disposition particulière, en contrariété avec l’objectif de cette disposition ;
  • un élément intentionnel : le but du contribuable.

Le contribuable qui réalise une opération qui, dans la thèse de l’administration, est contraire à l’objectif d’une disposition, devra se préparer à prouver que son ou ses actes juridiques se justifient par d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus. La preuve du contribuable est celle d’un élément qui le dégage de l’application de l’article 344, § 1er, CIR.

A défaut de preuve contraire rapportée par le contribuable, l’article 344, § 1er, CIR permet à l’administration d’écarter la qualification juridique d’un acte, le sanctionnant de cette façon d’inopposabilité à son égard. L’administration devra soumettre alors l’opération à un prélèvement conforme à l’objectif de la loi.

2. Qualification comme droits d’auteur versus qualification comme les rémunérations ou bénéfices

La question se pose alors de savoir si la transformation de revenus jusqu’alors considérés comme professionnels en revenus mobiliers par application de la loi du 16 juillet 2008 pourrait être constitutif d’un abus fiscal. Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire d’examiner les objectifs de la loi.

La réforme opérée par la loi du 16 juillet 2008 poursuit deux objectifs :

  • faire œuvre de simplification en définissant plus clairement le régime fiscal applicable aux droits d’auteur ;
  • aboutir à une taxation plus juste tenant compte de la capacité contributive réelle des auteurs.

Les travaux préparatoires de la loi précisent en effet textuellement que :

« La présente proposition de loi poursuit deux objectifs :

–       d’une part, imposer les redevances de droits d’auteur et de droits voisins en éliminant le surcoût financier qu’ils subissent et qui découle de leur caractère irrégulier et aléatoire ;

–       d’autre part, clarifier et simplifier les règles d’imposition de ces revenus au niveau de leur qualification, ensuite au niveau des forfaits de frais déductibles, enfin au niveau du paiement anticipé de l’impôt par voie de précompte mobilier.

L’objectif de la loi est donc clair et, comme indiqué supra, il ne pourrait être question sur la base de la nouvelle loi de transformer demain en droits d’auteur des revenus qui constituent aujourd’hui des rémunérations ou des profits de professions libérales. Cette position n’implique pas que les revenus qui, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, étaient imposés comme revenus professionnels, n’entreraient ipso iure pas en considération pour être imposés sous la nouvelle loi comme revenus mobiliers. S’il s’agit effectivement de revenus relatifs à la cession ou la concession de droits d’auteur ou de droits voisins, ces revenus doivent pouvoir bénéficier du nouveau régime, même si, sous l’ancien régime, ils étaient taxés comme des revenus professionnels. En décider autrement reviendrait à dire qu’une nouvelle loi ne pourrait pas être appliquée au seul motif que le régime était différent avant la nouvelle loi. Cela serait une position totalement illogique.[3]

On doit donc comprendre que le ministre a seulement voulu faire savoir qu’on ne peut pas abuser de la loi pour faire tomber sous le nouveau régime des rémunérations pour prestations professionnelles d’un travailleur ou d’un indépendant – autres que la cession ou concession des droits d’auteur. Cela ressort entre autres de l’exemple que l’on retrouve dans l’avis publié au Moniteur belge[4] : l’employé qui est payé par son employeur (par ailleurs éditeur) pour rédiger des textes, perçoit une rémunération. Si ce texte est publié et que la publication donne droit à des droits d’auteur, ces derniers et seulement eux constituent des droits d’auteur. Pas de changement possible quant à la rémunération du bénéficiaire. La rémunération perçue par cet employé n’est pas « requalifiée » ni « requalifiable » en droit d’auteur.

Tant les termes de la convention que les éléments de fait sont importants pour discerner si les revenus peuvent bénéficier du nouveau régime. L’application du nouveau régime doit donc être appréciée au cas par cas.[5]

Le service des décisions anticipées en matières fiscales a publié un certain nombre de décisions anticipées en ce qui concerne des situations dans lesquelles des indépendants reçoivent une rémunération pour la cession ou la concession des droits d’auteur.

A titre d’exemple, citons le ruling 900.415 qui se rapporte à un chargé de formations qui fait publier et exploiter par sa propre société les manuels qu’il rédige. La société lui paie à ce titre une rémunération, exprimée en un pourcentage du chiffre d’affaire qui est réalisée par la vente de ces livres et cours. Il y a aussi un contrat d’auteur montrant que l’auteur détient l’entièreté des droits d’auteur sur les textes et qu’il cède à l’éditeur le droit d’exploitation pour la publication des livres et des cours sous n’importe quelle forme. En outre, le chargé de cours perçoit aussi une rémunération pour ses prestations en tant que gérant et en tant que chargé de cours. La commission du ruling confirme que la rémunération perçue en tant qu’auteur est un revenu mobilier imposable.

3. En conclusion : Puis-je transformer mes honoraires ou rémunérations de salarié en droits d’auteur ?

Non, la seule question à se poser est celle de savoir si les revenus considérés sont des revenus de droits d’auteur ou de droits voisins au sens de la loi du 30 juin 1994, ou pas. Notons que l’avis publié au Moniteur belge du 9 décembre 2008 précise clairement qu’une requalification de revenus professionnels (rémunérant des prestations) en droits d’auteur est proscrite. Il conviendra donc d’éviter les requalifications « forcées » ou artificielles.

La loi du 16 juillet 2008 n’a pas pour vocation de transformer en droits d’auteur des revenus qui constituent des rémunérations de travailleurs salariés ou appointés ou des profits de professions libérales, charges ou offices.

Cela signifie que si des droits d’auteur étaient auparavant « mélangés » avec des rémunérations ou des profits, ils sont désormais taxés selon le régime applicable aux droits d’auteur (la qualification du revenu n’a pas changé, c’est son régime de taxation qui est devenu logique).

Mais ce qui constituait réellement des rémunérations de travailleurs, c’est-à-dire toutes rétributions qui constituent, pour le travailleur, le produit du travail au service de son employeur, conserve sa qualification de rémunérations.

Il en va de même pour les profits des titulaires de professions libérales, charges ou offices. Les recettes provenant de l’exercice d’une telle activité sont des revenus professionnels taxables à titre de profits. Il n’empêche pas bien entendu qu’un contribuable recueillant de tels revenus puisse également recueillir des droits d’auteur.

Aussi, un dirigeant de société pourrait très bien renoncer à la rémunération de son mandat et céder ou concéder une œuvre originale à sa société pour bénéficier d’un revenu mobilier, ces revenus étant considérés comme des droits d’auteur au sens de la loi du 30 juin 1994, l’opération ne pourrait tomber sous le champ d’application de l’abus fiscal.

Voir aussi nos activités : https://www.law-right.com/activites/optimisations-fiscales-et-sociales-des-droits-dauteur et notre autre nouvelle relative au paiement du précompte mobilier.



[1] D. GARABEDIAN, « La nouvelle règle générale anti-abus et l’ « objectif » des dispositions fiscales : portée, arbre de décision, cas pratiques », T.F.R., 2012, p. 752.

[2] C. DOCCLO, « Petit manuel d’utilisation de l’article 344, § 1er CIR 1992 », T.F.R., 2012, p. 768.

[3] A. TIBERGHIEN, Manuel de droit fiscal, éd. 2011-2012, Kluwer, Malines, 2012, n° 1073,50, p. 105.

[4] « Avis aux débiteurs de droits d’auteur et de droits voisins au cours de l’année 2008 », M.B., 9 décembre 2008, p. 65489.

[5] A. TIBERGHIEN, o.c., p. 106.