L’une des questions les plus fréquentes en matière de droit d’auteur porte sur la question de savoir qui, de l’employé ou de l’employeur, est titulaire (« propriétaire ») des droits d’auteur qui portent sur l’œuvre créée par le salarié.
Il est vrai que les conditions d’existence du droit d’auteur étant particulièrement larges, les exemples d’œuvres créées au travail sont légion. Il peut ainsi s’agir :
- du logo et du site internet conçus par l’infographiste,
- des dessins et du prototype réalisés par l’ingénieur,
- d’une étude marketing interne ou
- d’une note rédigée par un membre du département juridique.De manière générale, la philosophie de la loi belge est de protéger l’auteur, considéré comme la « partie faible » lors de négociations. En résultent un certain nombre de règles contractuelles destinées à limiter la portée des contrats de cession portant sur une œuvre protégée (obligation d’invoquer une clause écrite pour prouver toute cession de droits contre l’auteur et règle d’interprétation restrictive des contrats de cession). En conséquence, toute cession dont les modalités ne seraient pas suffisamment détaillées (montant de la rémunération, modes d’exploitation cédés, étendue géographique et durée de la cession, …) sera considérée comme inexistante.« § 3. Lorsque des œuvres sont créées par un auteur en exécution d’un contrat de travail ou d’un statut, les droits patrimoniaux peuvent être cédés à l’employeur pour autant que la cession des droits soit expressément prévue et que la création de l’œuvre entre dans le champ du contrat ou du statut. »L’employeur acquerra les droits d’auteur de son employé pourvu :
- Dans le cadre d’un contrat de travail, nul n’est donc besoin de préciser tous les modes d’exploitation envisageables, ni même une rétribution spécifique : d’après la loi, la rémunération du travailleur suffit à compenser le transfert de ses droits sur l’œuvre créée au travail, sans qu’il faille y ajouter une quelconque redevance pour rémunération des droits d’auteur.
- Ce régime général très protecteur connaît cependant un certain nombre d’exceptions dont, précisément, un régime assoupli applicable aux œuvres créées en exécution d’un contrat de travail. Ainsi, on peut lire à l’article XI.167 §3 du Code de droit économique :
- Le droit d’auteur dans le contrat de travail
- que le contrat inclue expressémentune clause de cession des droits d’auteur ; et,
- que la création relève des tâches attribuéesau travailleur.
Chacune de ces conditions appelle quelques mots de commentaire.
- Une clause de cession des droits d’auteur
Tout avocat en droit de la propriété intellectuelle vous le dira, de nombreux employeurs omettent de faire signer une clause de cession de droit. Dans ce cas, la sentence est sans appel : le travailleur demeure seul maître de l’œuvre créée dans le cadre de son contrat de travail.
A titre d’illustration, on relèvera un jugement rendu le 5 mai 2006 par le Tribunal de première instance de Bruxelles décidant qu’en l’absence de clause de cession insérée dans le contrat de travail, le travailleur était fondé à réclamer à son ex-employeur la redevance qu’il aurait pu obtenir s’ils avaient négocié la commercialisation de ses œuvres.
En l’espèce, le demandeur avait été photographe-reporter sous contrat de travail pour l’agence Belga, laquelle le rémunérait pour la réalisation de photographies en vue de leur utilisation immédiate dans la presse quotidienne. Aucune autre cession de droits n’était prévue. Le Tribunal estima que la rémunération prévue au contrat n’impliquait pas le transfert des droits d’auteur. En conséquence, l’agence de presse ne pouvait pas reproduire les clichés dans d’autres médias et dans des bases de données sur internet, pour les vendre à des tiers, sans autorisation de leur auteur. Le Tribunal attribua à l’ex-employé une indemnité évaluée à 50.000 € pour le préjudice matériel subi, augmentée d’un préjudice moral évalué à 12.500 € ; preuve s’il en est, de l’importance de sécuriser ses droits en amont.
- Une œuvre réalisée dans le cadre du contrat de travail
L’introduction d’une clause de cession de droits dans le contrat de travail ne suffit pas à rendre l’employeur titulaire de toutes les créations de son travailleur. Il s’agit encore de distinguer les créations selon qu’elles ont été accomplies dans le cadre du contrat de travail, ou en-dehors.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bruxelles en date du 14 octobre 1997, dans une affaire opposant le Pari Mutuel Urbain (« PMU ») à l’un de ses anciens employés fournit une illustration adéquate de cette problématique. En l’espèce, un jeu de cartes avait été créé par un employé du PMU. Ce dernier prétendait que le jeu de carte « entrait dans le champ » du contrat de travail en sorte que le PMU disposait des droits d’auteur sur l’œuvre. La thèse de l’entreprise fut contredite par l’organigramme de l’entreprise. Celui-ci permit de constater que le travailleur avait pour fonction la conception et le tirage « de documents internes » alors que le jeu de cartes avait été créé comme un instrument promotionnel destiné au public. En conséquence, la Cour d’appel considéra que le jeu de cartes n’avait pas été accompli dans le cadre des tâches professionnelles du travailleur et finit par le donner gain de cause.
Dans le même ordre d’idée, peuvent également être considérés comme d’autres cas ouverts à contestation, la situation de l’ingénieur qui use du matériel de l’entreprise pour développer un projet personnel, ou celle de l’illustrateur qui réalise des croquis à son domicile, en-dehors de ses heures de travail, pour un projet artistique personnel proche de celui pour la réalisation duquel il est engagé.
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En parallèle au régime général de cession des droits d’auteur, et au régime spécifique applicable aux œuvres d’employés, signalons enfin que la loi prévoit encore d’autres régimes spécifiques, variables en fonction du type de contrat (contrat de commande, contrat d’édition, contrat de représentation, …) ou en fonction du type d’œuvre (œuvres logicielles, bases de données, dessins et modèles, …).