Un intermédiaire dans les transactions portant sur des biens immobiliers effectue souvent des déplacements professionnels. Que se passe-t-il si l´indépendant espère obtenir un revenu grâce à ses déplacements mais qu’en réalité il s´en avère autrement ? Certains juges estiment que le plus important est que les dépenses se fassent avec l’intention d´acquérir revenus, et qu´il importe peu que les gains ne se réalisent pas, contrairement aux espérances.

1.  Examen de la jurisprudence

Examinons la situation du travailleur indépendant qui effectue l´activité d´agent immobilier. Un intermédiaire dans les transactions portant sur des biens immobiliers effectue souvent des déplacements professionnels.

Dans une situation imaginée où l’agent immobilier se rend à l’île Maurice à fins professionnelles, quels frais pourrait-il déduire et sous quelles conditions ? Et si l’activité économique de cet agent n´apporte pas de résultats économiques suffisamment élevés pour couvrir ses dépenses, dans ce cas pourrait-il déduire ses frais de voyage ?

En premier lieu, l´indépendant doit obtenir une preuve attestant du caractère professionnel du voyage, cela veut dire qu´il convient de se ménager les documents qui mettent en évidence le lien logique entre l´activité professionnelle et ce voyage. Mais que se passe-t-il si l´indépendant espère obtenir un revenu grâce à ses déplacements mais qu’en réalité il s´en avère autrement (une perte) ?

À cet égard, la jurisprudence démontre qu’il y a deux points de vue opposés. Certains juges estiment que le plus important est que les dépenses se fassent avec l’intention d´acquérir des revenus, et qu´il importe peu que les gains ne se produisent pas contrairement aux espérances. Ainsi, A. Tiberghien nous rappelle :

« Une autre jurisprudence va plus loin lorsqu´elle décide que les frais professionnels sont déductibles dès qu´ils sont exposés dans le but d´acquérir des revenus imposables sans qu´il soit nécessaire d´établir qu´ils ont effectivement permis d´acquérir de tels revenus. (Trib. Bruxelles, 28 juin 2006, Fiscologue, 2007, 1056, 10 ; Trib. Gand, 20 octobre 2010, Fiscologue, n° 1227, 7) »

(TIBERGHIEN, A. « Manuel de droit fiscal 2014-2015» Wolter Kluwer trente-troisième édition, p. 230)

D’autres décisions judiciaires ne partagent pas ce point de vue, par exemple les jugements des Tribunaux de première instance de Louvain, Bruges et Mons : Trib. Louvain, 12 mars 2010, Fiscologue, 2010, n° 1225, 6 ; Trib. Bruges, 9 avril 2014, Fiscologue, 2014, n°1401, 12 ; Trib. Mons, 24 avril 2014, Cour. Fisc., 2014, n° 9, 441-443.

(voir aussi TIBERGHIEN, A. « Manuel de droit fiscal 2014-2015» Wolter Kluwer trente-troisième édition, pp. 230-231).

Ces décisions considèrent illogique de déduire des dépenses dépassant considérablement les revenus. Ainsi le Tribunal de première instance de Louvain considère que les frais qui s´élèvent à 268% des revenus dépassent de manière déraisonnable les besoins professionnels.

Le Tribunal de première instance de Bruges estime que lorsqu´il existe une disproportion entre les revenus et les dépenses et que l´on ne constate aucun indice, durant les périodes imposables suivantes, qui permettrait de présumer que l´activité deviendra rentable, ces dépenses ne sont pas justifiées.

2. Application à un premier exemple : Que se passe-t-il si l´activité d´agent immobilier est déficitaire ?

Comme nous l’avons noté, la définition des dépenses raisonnables donne lieu à une jurisprudence divisée. L´Arrêt de la Cour d´appel de Mons du 6 octobre 2012 (Cour d´appel de Mons, 6 octobre 2012, F.J.F. n° 2014/35) portait sur une personne qui exerçait deux activités économiques dont l´une avec des résultats catastrophiques : uniquement des pertes. Les pertes enregistrées augmentaient d´année en année.

Qu’arriverait-il si un indépendant exerçant des activités de transactions immobilières effectuait une activité déficitaire, tout en prétendant déduire ses frais professionnelles ? Le Cour d´appel de Mons indique dans son jugement :

« La seule constatation que l’activité est déficitaire n’implique pas qu’elle doive être considérée comme un loisir et aucune disposition légale ne soumet la déductibilité des frais professionnels supportés par le contribuable pour son activité professionnelle à la condition que son activité ait effectivement engendré des revenus taxables (Liège, 25 octobre 1989, F.J.F., n° 90/8) ».

Donc, même si l’activité économique d’un agent immobilier n´apporte aucun revenu, cela n´exclut pas automatiquement le droit du contribuable de déduire ses frais professionnels.

Cette jurisprudence est particulièrement importante pour les agents immobiliers parce que, en particulier dans cette profession, le délai nécessaire pour conclure une vente et obtenir un bénéfice peut s’avérer très long.

3. Application à un second exemple : frais de voiture d´un agent immobilier

L’agent immobilier se déplace beaucoup pour son travail, pour son activité il est important de faire bonne impression aux clients, ce qui peut impliquer d’utiliser un véhicule de luxe.

À cet égard il est opportun de mentionner l´Arrêt de la Cour d´appel de Bruxelles du 05/02/2013 dans lequel le juge a reconnu le droit de déduire les frais d’un véhicule de luxe, en tenant compte de l’activité spécifique de certaines entreprises. Le juge indique notamment que :

« Puisque les services de taxation n’ont pas contesté le caractère professionnel des frais de voiture qui ont été déduits, c’est à l’Administration qu’il appartient d’établir que les frais de voiture sont (en partie) exagérés. Aucun des arguments avancés par l’Administration n’est de nature à justifier en l’espèce de l’application de l’art. 53, 10° CIR 1992. Compte tenu de l’activité professionnelle spécifique de la société, de son chiffre d’affaires et de son résultat d’exploitation, les frais afférents aux voitures (dépenses afférentes à quatre voitures de luxe qui sont mises à la disposition de deux administrateurs) sont justifiés. La Cour examine notamment la proportion entre les frais afférents aux voitures et le chiffre d’affaires de la société et constate que pour chacune des années de revenus concernées, cette proportion est raisonnable ».

Bien que la jurisprudence citée traite de l’impôt des sociétés, le raisonnement logique est parfaitement applicable à l’impôt des personnes physiques. Suivant cette logique, il est important que le contribuable fasse valoir que l’usage de véhicules de haut standing a souvent été déterminant pour obtenir des prospects, clients et conditions commerciales avantageuses qui ont eu une influence sur les résultats de son entreprise.

L´article 53, 10° du Code du 10 avril 1992 des impôts sur les revenus stipule notamment que ne constituent pas des frais professionnels ceux qui dépassent de manière déraisonnable les besoins professionnels. Par conséquent, dans ce cas, le juge a procédé à la comparaison du chiffre d’affaires total avec les frais de véhicules : « Les frais de véhicules représentent 7,7% du chiffre d’affaires pour l’exercice 92 et 5,2% de celui de l’exercice 93; l’administration ne peut donc pas déduire à partir des éléments comptables objectifs du dossier qu’il s’agirait partiellement de dépenses purement somptuaires sans aucun rapport avec l’activité réellement exercée (…) ».