Jusqu’à une certaine époque, il a toujours été admis que le chef de l’Etat, en raison de sa qualité de représentant de l’Etat, ne pouvait voir sa responsabilité personnelle, individuelle, engagée. A ce titre, on ne pouvait pas lui imputer la responsabilité des actes commis en tant que chef de l’Etat, indépendamment de l’ignominie de ces crimes.

Un peu d’histoire:

Il faudra attendre deux guerres mondiales et d’autres situations de crises régionales pour voir émerger les prémisses d’une responsabilité pénale des chefs d’Etat à l’échelle internationale. En effet, les horreurs sans nom qui se sont déroulés d’abord à l’époque nazie et ensuite sur les territoires de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda pour ne citer que ceux-là, ont remporté l’unanimité sur le fait qu’aucune personne, d’un rang aussi élevé soit-il, ne devrait échapper à la justice lorsque des crimes d’une telle gravité sont en jeu.

Le traité de Versailles aura été le premier acte à remettre en cause la responsabilité pénale du chef de l’État. Cette première remise en cause s’est malheureusement soldée par un échec. En effet, le procès de Guillaume II n’a pas abouti suite au refus d’extradition de la Hollande.

[1]

Avec la seconde guerre mondiale, une deuxième tentative de mettre à mal l’immunité des hauts représentants de l’État va voir le jour. En effet, les vainqueurs de la guerre (U.S.A., U.R.S.S., Royaume-Uni et France) vont mettre sur pied les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, chargés de juger les grands « bandits internationaux ».[2]

A la différence du Traité de Versailles qui instituait pratiquement un « Tribunal international pour ex-empereur allemand », les tribunaux militaires internationaux (TMI) énonceront la règle de manière plus générale en précisant que « [l]a situation officielle des accusés, soit comme chefs d’État, soit comme hauts fonctionnaires ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine ».[3]

En ce qui concerne le bilan des TMI de Nuremberg et de Tokyo, tout comme à l’occasion de la première guerre mondiale, les deux tribunaux n’ont pas pu juger les chefs d’État qui ont été à l’origine de crimes dont l’horreur est la caractéristique première. En effet, suite au suicide d’Adolf Hitler et au refus du général américain MacArthur de livrer l’empereur japonais Hiro-Hito, le bilan de ces deux tribunaux ne semble pas plus convaincant que le précédent.

Entre une « justice des vainqueurs »[4] accusée de partialité et les jugements considérés comme trop ponctuels pour constituer une véritable remise en cause du principe de l’immunité du premier dirigeant de l’État[5], ce premier pas vers la remise en cause de la responsabilité pénale du chef de l’État, même s’il est loin d’être minime, sera considéré comme inefficace.

Il faudra attendre la fin de la guerre froide avec la création des tribunaux pénaux internationaux ad hoc (TPI) pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, la mise sur pied des tribunaux internationalisés et la création d’une cour permanente pour voir se concrétiser et se renforcer l’absence d’immunité en matière de crimes internationaux.

Avec la création de la Cour pénale internationale, l’absence d’immunité en matière de crimes internationaux est alors clairement établie. Selon l’article 27.2 du Statut de Rome, « [l]es immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne».[6]

L’immunité internationale du chef de l’Etat est donc limitée lorsque les crimes considérés comme les plus graves par la communauté internationale sont en jeu.

[1] E. DECAUX, « Les gouvernants », in H. ASCENCIO, E. DECAUX et A. PELLET (sous la dir.), Droit international pénal, CEDIN Paris X, Paris, Pedone, 2000, p. 184 et s.

[2] H.DONNEDIEU DE VABRES, Les principes modernes du droit pénal international, Paris, Ed. Panthéon-Assas, coll. « Les introuvables », 2004, p. 1.

[3] Art. 7 du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, 8 août 1945 ; Selon l’article 6 de la Charte du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, 19 janvier 1946, « Ni la position officielle d’un accusé, à aucun moment, ni le fait qu’un accusé a agi conformément aux ordres de son Gouvernement ou d’un supérieur ne suffira, en soi, à dégager la responsabilité de cet accusé dans tout crime dont il est inculpé, mais ces circonstances peuvent être considérées comme atténuantes dans le verdict, si le Tribunal décide que la justice l’exige».

[4] H. D. BOSLY, D. VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre face à la justice. Les juridictions internationales et les tribunaux nationaux, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2012, p. 51.

[5] T. ONDO, op. cit., p. 156.

[6] Art. 27, 2, du Statut de la Cour pénale internationale, Rome, 17 juillet 1998.